C’était il y a 10 ans, plus exactement le 12 novembre 2014 : Cédric Reynier ouvrait les portes du Pain des Cairns après de longs mois de travaux acharnés. Des années après, plusieurs boulangèr·e·s passé·e·s par là ont monté leur propre boulangerie, sont allé·e·s vers d’autres projets. Étonnant ? Pas tant si l’on creuse un peu. Car voilà ce que l’on trouve : l’ADN du Pain des Cairns, insufflée par Cédric, pourrait tenir en un verbe d’action. Transmettre.
Une valeur souche
Quand Cédric crée le Pain des Cairns, l’idée de transmission a une place prépondérante dans son projet. Un matin d’octobre 2024, à la terrasse du Saint Bruno à quelques pas de sa pizzeria, il me parle de la genèse du fournil.
Que représente la « transmission » pour toi ?
Nous avons commencé à deux avec Bruno Bonnici, mon premier salarié, un collègue de promotion de la formation EIDB (Ecole internationale de Boulangerie). Nous travaillions 17h par jour. Il fallait communiquer, coopérer. Alors bien sûr il y avait les transmissions d’information sur la production opérationnelle. Mais il y avait aussi la transmission du savoir boulanger. Nous sortions de l’EIDB avec un savoir théorique et pratique qu’il fallait faire passer. C’est important de parler un langage commun. Et personnellement j’ai toujours eu l’appétence pour la transmission. C’est donc une chose qui était inscrite dès le départ. J’avais envie de sauver la planète, je voulais transmettre, changer les choses, créer un modèle reproductible et inspirant.
Par qui as-tu été inspiré ?
A l’EIDB j’ai rencontré Thomas Teffri Chambelland. Il avait créé cette formation car pour lui, la créativité ne peut exister sans bagage théorique. Il faisait un pont, un lien très fort entre théorie et pratique. Il avait bénéficié d’une tradition qu’il voulait faire vivre. C’est en maitrisant la théorie, des farines, du levain par exemple, que l’on peut créer.
A l’Université Du Nous, ils parlent de « cascade apprenante ». Des gens savent, ils ont le devoir, ils ont la responsabilité de partager leur savoir. Mais il faut faire attention de ne pas abuser de cette posture de « sachant ».
Finalement, pour toi transmettre correspond à des valeurs politiques.
De part mon ancien métier, l’informatique, j’ai la culture open source. Je crois dans le partage, c’est une histoire de valeur, oui. Par exemple, quand on a créé les cracairns avec Théo Lewin (le Rythme du Pain à Voiron), on s’est inspiré d’une recette trouvée sur Marmiton, on a cherché, on a amélioré. Et si quelqu’un nous demandait la recette, il repartait avec. C’est pareil avec les systèmes informatiques comme Linux. On n’a pas à avoir peur de partager. Pour moi, l’idée de transmission est liée à celle d’apprentissage, de formation. Continuer d’apprendre sans cesse. Et pour transmettre, il faut savoir. Pour apprendre il faut être curieux. La formation est une manière d’égaliser les gens entre eux. Il n’y a pas de pouvoir descendant car l’apprenant apprend en apprenant autant que l’apprenti.
A travers ta vision de la transmission, tu réfutes le système pyramidal
C’est ça. De 2014 à 2016, j’ai été patron mais ce statut ne me convenait pas, je voulais essayer quelque chose de novateur. Nous nous sommes beaucoup formé·e·s à la gouvernance partagée. Mais il ne faut pas oublier que les modèles théoriques de la boulangerie sont la base pour que la personne puisse s’exprimer. Sans cette base théorique, il y a le risque de perte de créativité, d’enfermement dans l’acquis. Et quand on transmet les gestes pratiques, ils ne sont rien si on ne peut pas expliquer le pourquoi de ces gestes. Tout cela marche si on est dans un système qui permet de s’inspirer des autres. C’est une histoire de dynamisme. Et dans ce système, il faut remettre en question le savoir régulièrement. Avec du recul, je regrette de ne pas avoir assez formalisé l’aspect boulangerie dans la transmission.
Quand nous nous quittons, je laisse Cédric devant Dragonne Pizza qu’il a monté il y a deux ans, et parcours, pensive, les 200 m qui me séparent du Pain des Cairns. Je médite sur la force de l’idée de transmission pour ce gars hors norme. Un gars qui s’est démené durant des années pour créer et faire vivre cette boulangerie, et qui un jour l’a transmise à d’autres parce qu’il avait foi dans le partage. Aujourd’hui, nous avons tous·tes conscience de cet héritage légué et de la pépite que nous avons entre les mains. Qui ? Quoi ? Pourquoi ? Vers quoi ? Comment ? La suite dans un prochain article : Transmettre : l’héritage !