Vous vous demandez peut-être à quoi ressemble une fin d’année au Pain des Cairns… Mariette vous emmène dans les coulisses de ce qui s’apparente parfois à un départ en colonie de vacances. Embarquez dans le Trafic avec nous, et direction Sisteron !
Ce 12 juillet 2023, nous avons aspiré, nettoyé, lessivé, rangé tout le fournil pour la fermeture estivale. Et dans la foulée, nous avons pris la route du Sud en équipe, avec la furieuse envie de découvrir enfin le Moulin Pichard, notre plus gros fournisseur de farine. Non loin de Sisteron, nous faisons halte pour la nuit à Entrepierres, chez Sandrine Duez, une amie paysanne-boulangère de Mariette. Nous découvrons son havre de paix perdu au milieu des champs, en lisière de forêt. A peine arrivés, un verre de vin à la main, nous montons vers son fournil pour en faire la visite. Elle nous fait entrer par la petite porte donnant sur le moulin où son blé est en train d’être moulu pour la prochaine fournée de pain.
Sur la route
Quand nous entrons dans la petite pièce pleine de sacs de farine, le bruit des meules et du tamis en pleine action, ainsi que la bonne odeur du grain nous happent. Le moulin de Sandrine est un joli petit moulin Astrié. Le même système, mais en format réduit, que celui de notre fournisseur de farine très très locale, l’incontournable agriculteur-meunier Sylvain Betto (ferme du Vieux Chêne dans le Trièves).
L’ami des paysans-boulangers
Mais revenons à Entrepierres et au moulin de Sandrine. Sa trémie peut contenir environ 50 kg de grains (à ce moment-là du blé tendre Soissons) qui s’écoulent doucement par l’auget vers les meules. La meule du dessus, dite « tournante », déroule les grains vers celle du dessous, dite « dormante ». C’est là la spécificité de ce moulin, créé par les frères Astrié : à la différence des moulins à meules de pierre traditionnels, ce n’est pas le poids de la meule supérieure qui écrase, mais un système de ressorts et le réglage micrométrique entre les meules qui assure le déroulé du grain. Le grain n’est donc pas écrasé, mais simplement déroulé, ce qui permet de conserver toutes les qualités du germe, et obtenir un taux d’extraction de plus de 80 % en un seul passage. Bref, un petit outil bien sympathique pour qui veut transformer son blé en farine de qualité.
L’étape qui fait le type
Après le passage entre les meules, le blé réduit en farine grossière est ensuite dirigé vers la bluterie, cette sorte de coffre enfermant un cylindre qui tamise l’élément pour en sortir le son d’un côté et la farine de l’autre. C’est cette étape du blutage qui définit le type de farine. Le type d’une farine est mesuré par le pourcentage de cendres issus de la calcination de 5 g de farine. Plus le chiffre est élevé, plus la farine contient de son et de minéraux. La T150 est une farine intégrale, la T110, débarrassée du son le plus grossier est dite complète et plus digeste que l’intégrale, la T80 est demi-complète ou bise, la T55 (voir la T45) est utilisée en pâtisserie car plus blanche et plus fluide, mais privée d’une bonne partie de ses nutriments.
Le tamis de Sandrine a de larges trous, car elle recherche une farine complète (T110). Contrairement à ce qui se fait chez un meunier artisanal, Sandrine n’a pas de rampe d’ensachage : elle remplit elle-même les sacs de farine dont elle a besoin. Son moulin tourne presque tous les jours de la semaine, et cela depuis 30 ans. Il ne l’a jamais lâchée – et elle non plus. Et c’est plutôt bien ainsi car aujourd’hui, se faire livrer un petit bijou comme cela prend plusieurs mois, jusqu’à un an et demi !
Small is beautiful
Une fois dans le fournil de Sandrine, nous nous amusons de voir notre univers du Pain des Cairns réduit au format « dinette ». Normal, Sandrine travaille seule, et deux cuves lui suffisent, ainsi qu’un petit four électrique de quatre étages. « Avant, nous étions deux, et nous avions commencé avec un four à bois, mais quand j’ai continué seule l’activité, il m’a été impossible de faire le pain et gérer le four en même temps, je suis passée au four électrique ». Ici, pas de chambre de pousse, pas de régulateur de température d’eau, pas de PHmètre. L’expérience et le feeling font l’essentiel : des pains excellents (et une pompe à l’huile irréprochable), qu’elle vend sur divers marchés du coin.
On quitte Sandrine au petit matin, voguons émerveillés à travers champs de lavande et de blé à maturité, direction Malijai.
Un moulin familial
Malijai est un joli petit village au sud de Sisteron, et peu loin du centre, il nous faut prendre une ruelle longeant la Bléone pour accéder au Moulin Pichard. Nous nous garons à l’ombre de grands silos, et retrouvons Stéphane Pichard, meunier de la 7e génération à œuvrer pour l’entreprise familiale. Il est notre fournisseur historique et nous livre le plus gros volume de farine en blé T80 et T65, ainsi que de seigle T170. Pour nous, cela représente environ 1 500 kg de farine par semaine. Pour Stéphane, cela fait de notre boulangerie un client « moyen », qu’il accueille les bras grands ouverts, avec simplicité et chaleur. « Nous sommes implantés à Malijai depuis 1992, et j’ai travaillé ici avec mon père pendant 15 ans avant qu’il ne prenne sa retraite. Quand je suis sorti de l’école de meunerie, je savais que je ne voulais pas travailler dans un gros moulin, et que je voulais être au contact des gens qui me livraient en blé, et que je fournissais en farine. Être dans le local. Je voulais aussi de la diversité, et c’est comme cela qu’on a trouvé le moulin de Malijai, plus grand que celui où ma famille était implantée dans la Drôme. » Le moulin, selon la volonté de Stéphane, garde une taille humaine : ils sont dix à travailler dans l’entreprise, qui sort environ 5 000 tonnes de blé par an, et tout cela uniquement en bio. Ils font aussi de la farine de Petit Épeautre, du seigle, du Khorasan, des farines de blé dur, et du Grand Épeautre.
Bio et local
Pendant que Stéphane nous raconte l’épopée familiale, un camion-citerne vient se caler contre le bâtiment pour larguer son blé au pied d’un des sept silos de 100 tonnes chacun. Il vient du nord de l’Italie, fournisseur essentiel de blé de force T55 (une farine parfaite pour les panettones, ou qui peut être ajoutée en petite quantité à un mélange de farine pour le rendre plus panifiable). Si vous avez suivi, nous n’utilisons pas de la T55, sauf à Noël pour nos panettones. Quand le camion a vidé son chargement, il se dirige vers les silos à sons : il ne repartira pas à vide, et livrera les fermes qui ont besoin de ce produit « déchet » issu de l’enveloppe du grain, pour nourrir les animaux. Ce transporteur international est l’exception à la règle du local que se donne Stéphane Pichard. Pour l’ensemble, les blés qu’il transforme en farine, viennent du 04, 05 et 84.
Pour ce qui est de la livraison de la farine, faite en direct avec leurs deux camions et autres fourgonnettes pour les petites quantités, le Moulin Pichard livre principalement en région PACA, des boulangeries de type artisanales, mais aussi des points de vente comme Satoriz. Avec le développement de l’EIDB (là où Cédric, le fondateur du Pain des Cairns s’est formé), située non loin de là, sa clientèle a élargi son secteur de distribution : on peut retrouver ses farines dans quelques fournils dans les Landes, en Bretagne ou à Dijon. Là encore, petite exception à une règle qui cherche à maintenir la proximité, le contact direct et l’humain dans le travail.
S’en suivent trois heures de visite du moulin. Stéphane prend le temps de nous expliquer en détail toutes les étapes de la transformation, ainsi que leur importance. Ça nous a paru tellement enrichissant et important que nous avons créé un second article spécialement dédié à la meunerie du Moulin Pichard.
Cliquer ici pour découvrir l’article plus technique qu’on vous invite vivement à lire !
A la fin de cette matinée ultra complète, Stéphane nous invite à poursuivre nos échanges autour d’un repas. Nous reprenons enfin la route vers notre capitale des Alpes avant de nous quitter pour cinq semaines de repos.
Nous voilà revenus depuis une semaine, sous la canicule qui nous fait atteindre 30°C dans le fournil à 7h30, mais on garde le sourire et l’énergie récupérée durant l’été ! On vous dit donc à très vite pour déguster nos pains autrement, avec un peu plus de connaissances !